Revue d’histoire des sciences | Tome 72-2 | juillet-décembre 2019
Fotografia e scienze della mente: Tra storia, rappresentazione e terapia

Ce volume inaugure la collection «Mente e storia» du centre de recherche ASPI – Archivio storico della psicologia italiana – de l’université Milano-Bicocca, institut créé en 2005 et dont le but est de recenser, collecter et mettre en valeur les sources pour l’histoire des sciences psychologiques, psychiatriques et neurologiques en Italie aux XIXe et XXe siècles (les fonds collectés, de plus en plus riches, sont désormais en libre accès sur le portail https:// www.aspi.unimib.it). Aucune surprise, donc, que le volume soit articulé en deux sections: huit essais de recherche et six brèves présentations d’autant de documents ou de fonds, d’origine surtout psychiatrique, découverts parfois de façon fortuite ou rocambolesque et pas forcément par des chercheurs, comme nous l’apprennent Enzo Umbaca et Matteo Balduzzi (un artiste visuel et un conservateur) à propos du fonds photographique de l’hôpital psychiatrique Paolo Pini de Milan, presque 1 300 plaques en verre avec les portraits des internés des années trente à soixante-dix, retrouvées en 1994 par des artistes lors d’un projet site specific comportant aussi la participation d’anciens patients et d’éducateurs.
S’il n’est pas rare que le destin des documents liés aux pratiques scientifiques (y compris les documents des institutions hospitalières) ait été la dispersion – ce qui oblige souvent l’historien à de longues chasses au trésor entre archives publiques, couloirs, bureaux, tiroirs d’instituts en activités, musées et collec- tions méconnues, legs familiaux etc. – cela semble avoir été encore plus fréquent avec les sources iconographiques, dont le statut a été longtemps incertain et accessoire. Le volume dirigé par Daniela Scala montre au contraire que le panorama de la recherche a désormais changé dans le contexte de l’historiographie italienne aussi, où la méfiance face aux études visuelles a été peut-être plus forte qu’ailleurs. L’attitude trans-disciplinaire en histoire des sciences a certes permis que le rapport au visuel se développe avant et plus largement dans ce domaine que dans d’autres secteurs de la recherche historique, et le fait que le premier volume de la collection du centre ASPI soit consacré à l’exploration de la valeur heuristique de la photographie en histoire des savoirs «psy» confirme toute la pertinence acquise par ce champ d’études, mais en même temps cela signale un retard dont l’un des effets semble être aussi une certaine disparité dans les approches des articles convoqués dans le volume, et en outre quelques répétitions.

Dans leurs essais, Giancarlo Grossi et Linda Bertelli s’interrogent autour du rôle actif, et non de simple représentation, joué par la technologie photographique, notamment l’instantané et la chronophotographie, dans la production de nou- velles connaissances, taxonomies, styles de raisonnement, paradigmes. Respec-tivement, ils lient l’étude des fractions de mouvements, «normaux» ou «pathologiques», auparavant imperceptibles, et l’évolution des modes de la représentation visuelle aux intérêts pour l’art de la part de Jean-Martin Charcot et Paul Richer (Grossi, sur la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière et les origines du cinéma scientifique) et aux principes théoriques qui permettent d’en comprendre les prémières applications, à savoir les théories neurophysiologiques de la sensation et thermodynamiques allemandes, qui sont à la base du futur travail d’Étienne-Jules Marey (Bertelli).

Si l’Italie reste à l’écart de ces contributions, les essais suivants dessinent au contraire un tableau des usages – surtout de la photographie d’aliénés, sujet désormais classique – qu’on y observe dans les décennies au tournant du siècle. Le résultat est varié, mais encore défectif: parfois on revient sur des cas assez connus (surtout les hôpitaux psychiatriques vénitiens de San Clemente et de San Servolo ou de Reggio Emilia), et on dépasse rarement les milieux scientifiques et les asyles du nord de la péninsule. Ce qui ne permet pas de contredir les témoignages déplorant encore en 1892 la rareté des cabinets de photographie médicale dans le pays (Scala, p. 22). Dans ce cadre, Nicoletta Leonardi, sensible au tournant matériel des études visuelles, analyse la constitution du corpus de portaits d’aliénés du musée Lombroso de Turin, leurs différents contextes intellectuels et institutionnels de production, les trajectoires qui amenèrent ces images entre les mains du père de l’anthropologie criminelle italienne, et les usages qu’il en fit, dans le but de tracer non seulement des «biographies d’objets» (visuels) mais aussi les pratiques des différents sujets concernés (y compris les représentés). Si Leonardi interroge les styles de représentation à la lumière de théories et pratiques psychiatriques même divergentes, Egidio Priani conclut que l’usage précoce de photographier les aliénés dans les hôpitaux vénitiens ne correspond en réalité à aucune stratégie classificatoire fondée sur l’évidence de données physiognomoniques ou anatomiques, et Monica Maffioli – qui travaille ici sur des albums de portraits de soldats soupçonnés d’autolésionisme et de simulation pendant la première guerre mondiale, aujourd’hui conservés dans les archives de l’École de santé militaire de Florence – suggère la nécessité d’explorer la dimension esthétique, soit dans l’acte de créer de tels images et assemblages, soit dans leur réception par les observateurs, à côté de l’étude de leur fonction. Si Maffioli n’a d’autres évidences directes en faveur de ses déductions que les albums mêmes, les archives du neurologue de Bologne Vincenzo Neri (collaborateur de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière intéressé aux troubles de la marche hystériques et plus généralement d’origine psychique), fouillées par Lorenzo Lorusso et Simone Venturini, permettent au contraire de retracer de façon détaillée et passionnante les procédés de transformation d’une image photographique en une évidence scientifique destinée à la publication, et la portée intellectuelle de telles opérations, grâce à la quantité de matériaux de travail intermédiaires conservés, allant des techniques graphiques, de l’instantané, de la chronophotographie, du cinéma pratiqués par Neri jusqu’à l’image typographique qui en condense les résultats.

Les derniers articles de la section «Essais» opèrent un déplacement par rapport à ce cadre, tout en poursuivant l’enquête récurrente dans ce volume sur la production de savoir par l’image. Alvise Sforza Trabochia analyse un corpus de photographies en quelque sorte mythique, réalisé par Gianni Berengo Gardin et Carla Cerati pour le volume Morire di classe de Franco Basaglia et Franca Ongaro (Turin: Giulio Einaudi, 1969). Ici le regard sur l’hôpital psychiatrique et sur les patients est porté par et dirigé vers l’extérieur dans une opération intellectuelle, médiatique et politique consciente dont l’auteur retrace les implications, soit dans les écrits de Basaglia sur le démasquement, soit dans les techniques de cadrage et de montage utilisées lors de la prise des photos et dans le volume, volume qui se situe à l’origine de la photographie dite concerned, pour laquelle cette saison de reportages dans de telles institutions psychiatriques fut un moment fondateur et de mise en question d’un imaginaire visuel d’origine médicale, en dialogue avec de plus larges publics. Finalement le nœud objectivité/spectacularisation – que les articles précédents analysent surtout du côté de l’objectivité reconnue à la photographie par les savants du XIXe et du début du XXe siècle, et que Sforza Trabochia aussi (en polémique avec les historiens John Foot et David Forgacs) sous-estime dans l’opération Morire di classe – revient dans la contribution de Paola Pennisi, conçue comme une sorte d’archéologie des techniques de brain imaging invitant à réfléchir sur toute réduction du mental au cérébral, notamment par le biais de l’image.


Alessio PETRIZZO

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